Le retour de la fille prodig(u)e

Charlie avait été obligé de s'organiser de façon exceptionnelle. Accueillir sa fille, ce n'était pas rien, surtout après tant de temps. La journée, il l'avait passée à se ronger les ongles en se disant qu'il devait balayer la maison, ranger un peu, préparer quelque chose de comestible... ou se rabattre sur le Lodge...

Quand il avait enfin pu quitter son boulot, le chef Swan se rendit compte qu'il ne pouvait pas repasser par la maison pour essayer de la faire ressembler un peu moins à une antre de vieux célibataire. L'avion de Bella n'allait plus tarder et il fallait foncer la chercher à l'aéroport.

Sitôt pensé, sitôt fait. Charlie se mit en route et l'on put voir la patrouilleuse filer à toute allure vers le lieu où descendrait la fille du chef Swan.
Sur la route, l'homme se demanda à plusieurs reprises ce qu'il allait bien pouvoir dire à sa fille, ce n'était pas tous les jours qu'il accueillait une personne aussi importante, après tout.

Le véhicule de police fut garé six minutes exactement avant qu'on n'annonce l'arrivée de l'avion. L'avion de Bella. Son coeur de père se mit à battre un peu plus rapidement. L'émotion était bizarre : comment devait se sentir un père qui retrouvait enfin sa fille, pour de bon?
Et si elle n'aimait pas l'idée de la camionnette? Et si elle changeait d'avis, qu'elle préférait le soleil de Floride que sa mère avait choisi? Et si...

Le questionnement fut interrompu par une arrivée, et non la moindre...

Bella avait deux avions à prendre. Le premier vol de Phoenix à Seattle durait trois heures. Le second jusque Port Angeles, une heure. Elle avait donc trois heures pour ruminer seule ses choix, ses attentes et son "avenir". Avenir proche s'entend. C'est à dire l'heure qu'elle passerait seule avec Charlie dans sa voiture de fonction de Port Angeles à Forks. Bella s'attendait à ce que cette heure soit plus endurante que celles passées dans les avions.

Pour ça, Charlie et sa fille se ressemblait beaucoup. Ils avaient à peu près le même caractère. Discrets, aimant le silence, calmes, faciles à vivre. Est-ce que ça poserait problèmes ou est-ce qu'au contraire les silences rendraient la chose difficile? Autant elle savait que sa décision était la bonne -pour sa mère bien sûr-, autant elle appréhendait énormément sa vie à Forks. Bella n'avait jamais caché la réticence qu'elle éprouvait face à cette petite ville pluvieuse. Dès ses quatorze ans, elle avait exprimé le désir de ne plus passer ses étés sous la pluie abondante.

Et là voilà, dans l'avion qui la menait à Port Angeles. Assise du côté hublot, Bella regardait l'appareil entamer sa descente. Le temps était gris. Surprise! La jeune fille sortit de l'avion à la suite des rares passagers qui avaient partagé son vol -qui venait s'enterrer ici après tout?- pendant une heure. Rapidement, en interrompant le cours de ses pensées amères, Bella passa récupérer ses bagages et se dirigea rapidement vers la sortie.

Avant même de voir Charlie, c'est la voiture de fonction qu'elle aperçut (autre surprise)! Son père, le très apprécié chef Swan, l'attendait devant. Bella sourit largement et s'approcha doucement vers lui.

Interrompant les pensées de Charlie, Bella fit son entrée dans son champ de vision. La vérité éclata au grand jour : elle était devenue une femme. Le chef Swan fut très fier durant un instant. Sa fille était devenue une jolie femme, à l’air sérieux et aux bras chargés de bagages… L’homme répondit vaguement au salut de sa fille, il ne savait jamais comment il devait réagir…

"Salut Bella."

Il était toujours très laconique, mais ce n’était pas un asocial pour autant. Charlie tendit la main pour prendre les bagages de sa fille, il alla ensuite ouvrir le coffre du véhicule de patrouille pour les y déposer. Ensuite, il fit signe à sa fille de s’installer à l’avant de la patrouilleuse en se demandant de quoi ils allaient bien pouvoir parler par la suite, une fois que le silence aurait envahi la voiture, puis encore après, quand dans la maison il serait évident que le chef Swan ne savait pas comment agir pour accueillir correctement sa fille… Il demanda, en essayant de paraître nonchalant :

"Renée va bien ?"

Il ne se rendit pas compte immédiatement qu’il n’avait même pas demandé à Bella si elle avait fait bon voyage… Enfin, ça, il pouvait le demander après coup, ça faisait toujours un sujet de discussion en plus pour briser le silence qui pour le moment n’était pas même interrompu par les grésillements de la radio. Il se disait que ce serait plus facile après, une fois qu’ils seraient tous les deux arrivés. Alors il lui offrirait la Chevrolet et elle comprendrait qu’il était heureux de la revoir…

Nouvelle (fausse) surprise, il était aussi intimidé qu'elle. Charlie Swan devait très certainement éprouver le même genre de sentiment que sa fille. Voilà déjà cinq mois qu'ils ne s'étaient pas vu ( la dernière visite de Charlie remontait aux premiers jours des vacances d'été... Bella arrivait en janvier, faites le calcul!), alors que fallait-il se dire? Le coeur de Bella battait un peu la chamade. Dû à un sentiment d'appréhension certainement.

"Salut Bella."

Charlie avait d'emblée pris ses quelques valises. Très peu au final, le tout rentrait aisément dans le coffre. Elle n'avait pas pu acheter énormément d'affaires qui correspondraient au temps de Forks alors... De plus elle avait gardé une partie de ses économies pour s'acheter une voiture. La seule exigence de la jeune fille était d'éviter le plus possible la voiture de fonction de son père.

Arriver au lycée en voiture de flics... Elle se ferait déjà bien assez remarquer comme ça!

Elle s'installa sur le siège passager avant, et se prépara au silence qui allait régner. Elle n'allait tout de même pas parler météo... Il pleuvait, c'était une fatalité!

"Renée va bien ?"

Bella s'était toujours demandé si son père s'était remis du départ violent de sa mère avec elle, petit nourrisson dans ses bras. Le fait qu'il lui demande si Renée allait bien sans prendre la peine de savoir si elle avait fait bon voyage prouvait quelque chose.

L’habitacle d’un véhicule de police est tout ce qu’il y a de plus inadéquat, parfois. Le silence est souvent pesant, surtout quand on est en compagnie de quelqu’un. Et les grésillements de la radio qui crachotait des accidents de la route, des codes 3, des appels aux patrouilles, etc. n’arrangeaient pas les choses. Il semblait à Charlie qu’éteindre la radio aurait pu être une bonne idée, mais le silence aurait peut-être été plus lourd encore… Alors il avait parlé. Très peu, mais il avait parlé, demandant des nouvelles de son ex-femme sans paraître y prêter plus d’attention que cela. D’ailleurs, il se contenta ensuite de répondre laconiquement.

"Bien. Tant mieux…"

Devait-il lui laisser la surprise de la Chevrolet ? Oui, c’était sans doute ce qu’il y avait de mieux à faire… Quoique…

"Ça me fait plaisir de te voir, tu sais…"

Oups… le chef Swan n’était pas tout à fait certain de la voie dans laquelle il s’engageait en disant cela… Il valait mieux ne pas en dire trop, les mots ne sont pas toujours nécessaires, après tout.
Il embraya finalement sur le sujet de la Chevrolet. C’était la meilleure chose à faire pour ne pas paraître totalement à côté de la plaque.

"J’ai trouvé une bonne voiture pour toi… Vraiment pas chère."

Charlie avait lâché le morceau avant même d’être à mi-chemin entre l’aéroport et la maison. Bah, de toute façon, Bella allait bien voir de quoi il s’agissait sous peu…

"Bien. Tant mieux…"

C'est tout? Alors soit c'était une simple politesse, une question comme une autre permettant de faire la conversation avec sa fille, soit il cherchait vraiment à savoir si Renée allait bien parce qu'il l'aimait toujours... Allez savoir! Dans tous les cas, il était visiblement aussi gêné qu'elle. Tendu plus tôt. Pourtant, le silence ne la gênait généralement pas, bien au contraire.

"Ça me fait plaisir de te voir, tu sais…"

Le coude appuyé contre la portière, la tête dans la main, Bella eut un petit sourire sincère. Un sourire qui illuminait son visage à peau pâle. Les circonstances de son arrivée devaient rester bien mystérieuses aux yeux de Charlie, car la jeune fille n'avait jamais réprimé son dégoût pour Forks, son temps triste et maussade et sa petite taille qui impliquait que tout se savait, que personne n'était discret. Une vraie catastrophe pour quelqu'un comme Bella Swan.

- Moi aussi je suis heureuse de te voir, papa.

Je détestais appeler mes parents "Papa" ou "Maman". J'étais assez proche de Renée, mais elle était tellement irresponsable (et particulièrement avec moi) que ce nom ne lui convenait pas. Quant à Charlie, je le voyais si peu... Je le considérais comme mon père bien sûr, mais nous étions loin d'être proches!

"J’ai trouvé une bonne voiture pour toi… Vraiment pas chère."

Aïe... C'était mon unique exigence pour venir ici! Une voiture pour pouvoir me déplacer librement. J'avais rassembler mes économies pour elle, pour l'essence et j'espérais la trouver très rapidement. Ben c'était plus rapide que prévu...

- C'est qu'elle genre?

J'espérais vraiment qu'il avait bien choisi. Au moins, il s'était occupé de ça, c'était un geste très délicat. Mais ne pas pouvoir la choisir, cela me faisait assez peur...

- Tu l'as trouvé où?

Charlie avait toujours eu du mal à dire ce qu’il ressentait. Alors, quand il avait avoué que ça lui faisait plaisir de voir sa fille… Tout ça l’avait toujours mis mal à l’aise : les sentiments, les émotions, etc. Bref, la réponse de Bella ne lui tira rien d’autre que des pensées et un petit soupir, tout léger, de ceux que les autres n’entendent que s’ils ont vraiment prêté l’oreille au rythme de votre respiration depuis un moment.
Peut-être avait-elle simplement eu envie de revenir vivre avec lui, son père, et que cela surpassait même le mauvais temps de Forks ? Le chef Swan n’avait pas de réponse, mais cette question lui était venue tout à fait naturellement. Il avait tellement ressenti l’absence des deux femmes de sa vie que le retour de la plus importante à ses yeux avait un petit quelque chose de magique… et d’indicible.

Le temps ferait peut-être son office, il serait par la suite plus facile de parler, de partager…

"En fait, pour être exact, c’est une camionnette…"

Cette bagnole avait fait partie du paysage de Charlie durant des années. Voir sa fille à son volant serait un plaisir. Il restait certain qu’elle était suffisamment prudente en voiture. Et même si elle avait des problèmes d’équilibre, quatre roues, c’est bien plus stable que deux.
Bella devait être intéressée. Elle avait à l’instant demandé à son père où il avait trouvé ce véhicule. En réalité, tout avait été très vite… et pour le mieux.

"Tu te souviens de Billy Black, qui vit à La Push ?"

Le chef de police continuait à regarder la route. Il savait mieux que personne qu’une minute d’inattention pouvait causer des accidents terribles et effroyables qui défrayaient la chronique quand il y avait crash entre deux véhicules ou qu’il y avait mort d’homme. Sa profession l’amenait de temps à autre à régler ce genre d’affaires.

"Il l’utilisait pour nous emmener pêcher pendant l’été."

Les yeux rivés au pare-brise, Charlie avait conscience que les choses ne seraient pas faciles. Une fille qui débarque, c’est une vie qui change…
Le chef continua ses explications. Cela valait toujours mieux que rien.

"Il est en chaise roulante à présent… donc, il ne peut plus conduire et a proposé de me vendre sa camionnette à bon prix."

"En fait, pour être exact, c’est une camionnette…"

Une camionnette? C'était une plaisanterie... Il était fort peu probable que les autres élèves de Forks aient de belles voitures, mais de là à avoir des camionnettes... Bella était l'une de ses filles qui préféraient passer inaperçue, la camionnette serait repérable à coup sûr! D'un autre côté, elle n'aurait pas à l'acheter elle-même... Économies en perspective!

"Tu te souviens de Billy Black, qui vit à La Push ?"

La Push. La réserve indienne sur la côte. Bella y avait passé pas mal de temps certains étés, mais de là à se souvenir des gens qui y vivaient. C'était trop demander à sa mémoire d'enfant! Mais La Push elle-même, oui, quelques images étaient intactes, et quelques bonnes impressions également!

"Il l’utilisait pour nous emmener pêcher pendant l’été."

La pêche? Bella avait toujours détesté aller pêcher avec son père. Voilà pourquoi elle ne se souvenait pas de ce Billy Black! Une faculté intéressante que celle d'oublier quasi-instantanément les souvenirs désagréables!

Pendant qu'il donnait des explications, Bella observait d'un air distrait son père. Cette histoire sentait le hic à plein nez... Un vieux copain de son père qui se débarrassait de sa voiture. Pourquoi? Pour l'achat d'une voiture neuve? C'était un indien de La Push dont on parlait, d'un habitant de ce coin où personne ne semblait millionnaire... Il ne pouvait décemment pas s'acheter de voiture neuve. Charlie semblait un peu perdu, comme s'il avait besoin d'apporter les justifications pour s'excuser. Mais de quoi? Même maladroite, la démarche était très gentille.

"Il est en chaise roulante à présent… donc, il ne peut plus conduire et a proposé de me vendre sa camionnette à bon prix."

Oui, ça sentait le roussi! Bella le regarda avec un sourire un peu méfiant...

Dans l’habitacle de la patrouilleuse, les grésillements de la radio étaient désormais comme un fond sonore qui empêchait le silence de s’installer. La question que venait de poser Bella, à savoir l’âge de la camionnette que Charlie lui avait achetée, était précisément celle qu’il craignait qu’elle posât. Il avait vraiment espéré que cette interrogation-là ne viendrait pas à l’esprit de sa fille, qu’elle attendrait au moins de voir la Chevrolet avant de vouloir en savoir plus… Mais bon, la question était posée et le chef Swan eut un soupir avant de répondre.

"Eh bien… Billy a beaucoup travaillé sur la machine… elle n’a que quelques années, en réalité…"

Charlie aurait été étonné que Bella se contentât de cette réponse, mais pour le moment, il essayait. Tant mieux si elle n’en demandait pas plus. L’espoir fait vivre…
Le policier gardait l’oeil sur la route, mais jetait de temps en temps un regard à sa fille. Elle avait longtemps eu l’air absent, quand elle regardait par la fenêtre, mais à présent, elle semblait vraiment être concernée par ce qu’il disait. Par ce qu’il pensait, peut-être aussi. Et il ne savait pas trop comment il pourrait annoncer décemment l’âge du véhicule qu’il offrait à son enfant pour son retour à Forks…

Le chef Swan fit mine d’être vraiment concentré sur la route. Il en fallait bien plus pour qu’Isabella baissât les bras, elle avait toujours eu un caractère assez fort en ce sens et elle avait toujours su exactement ce qu’elle voulait, alors il y avait peu d’espoir qu’elle ne veuille pas en savoir plus sur la voiture… Mais le fils de Billy était un passionné de mécanique, il avait fait son check-up complet à la camionnette avant que Charlie ne l’achète. Il n’y avait pas de raison que Bella ne l’acceptât pas… Elle roulait bien, elle était solide… il y avait juste le bruit du moteur qui était un peu dérangeant, mais elle allait s’y habituer, c’était sûr… enfin, c’était ce que Charlie espérait, surtout.

Comme Charlie grimaçait et qu'il poussait un léger soupire, Bella comprit qu'il était un peu gêné. Il ne voulait pas de cette question-là... Il avait compté y échapper. Vraiment? Et bien non, il n'y couperait pas. Sans pour autant le regarder avec un air désapprobateur, Bella le regardait avec intérêt, essayant de montrer qu'elle était ravie de son achat. Ce qui était vrai. Il fallait juste espérer que cette camionnette roule!

"Eh bien… Billy a beaucoup travaillé sur la machine… elle n’a que quelques années, en réalité…"

La situation était comique, il fallait le dire. En réalité, ce n'était pas l'âge de la voiture qui inquiétait Bella, c'était les réparations que cet âge avancé impliquerait, et les frais de ces réparations... Il ne croyait tout de même pas qu'elle allait se contenter de cette réponse?

- Neuve?

Charlie restait concentré sur la route, mais il continuait à jeter des coups d'oeil fréquents à sa fille. C'était amusant de voir le peu de confiance qu'il avait en lui concernant Bella.

Charlie avait toujours fonctionné ainsi. Il aurait donné n'importe quoi pour satisfaire sa fille, mais était toujours en train de se remettre en question! Comme la fois où elle avait décidé de ne plus passer ses étés à Forks; il n'avait pas cherché à comprendre plus que cela dans son souvenir, et l'avait laissé faire ses choix et accepté les compromis...
Oui Charlie était meilleur père qu'il ne le croyait. Pas très présent, mais dévoué. Et c'était l'essentiel, cela prouvait beaucoup de choses en disait long sur lui...

En posant la question, elle l'avait regardé avec un air suspicieux, histoire de lui mettre un peu de pression, c'était drôle à voir. Les efforts qu'il faisait pour contenir sa nervosité lui rappelait qu'elle était pareille que lui. Elle tenait beaucoup plus de lui en caractère que de sa mère. Mais Bella restait tout de même un peu inquiète concernant la voiture.

- Tu sais Char... Papa, je n'y connais rien en mécanique, moteur et compagnie! Je ne pourrai jamais le réparer s'il arrive quoique ce soit à la voiture... Et je n'ai pas les moyens de payer un garagiste!

A voir la tournure que prenait la discussion, il était clair que Charlie n’avait aucune chance de s’en tirer sans dire à sa fille tout ce qu’il savait de ce véhicule qu’il avait acheté pour elle. Bien sûr, il aurait très bien pu se taire et lui laisser la surprise, mais n’étant pas certain de l’effet que pouvait avoir cette surprise, il avait préféré prendre les devants… et maintenant, il s’en mordait les doigts. Quand elle lui demanda si la voiture était neuve, un sourire contrit apparut sur le visage de l’homme. Bon, autant y aller franco et dire tout de suite tout ce qu’il savait…

"Billy l’a achetée en 1984, je crois... d’occasion. Je pense qu’elle était neuve dans les années 60 ou la fin des années 50, en fait..."

Voilà, comme ça, elle savait. Mais l’important, c’était qu’elle roule, non ? Personne n’avait besoin d’une voiture neuve, le principal était qu’elle fonctionnait assez bien pour être utile.
Mais alors qu’il songeait à cela, Bella annonça qu’elle n’avait aucune connaissance en mécanique et que les garagistes étaient trop chers pour elle. Bon. Elle n’avait pas confiance dans le choix qu’il avait fait, c’était certain. Pourtant, le chef Swan était persuadé du bienfondé de cet achat ! d’ailleurs, il l’avait vue à l’oeuvre bien souvent cette Chevrolet, jamais elle n’avait montré de signe de faiblesse alarmant...

"Vraiment, Bella, cette camionnette roule très bien. On n’en construit plus des comme ça maintenant !"

Evidemment, d’apparence, elle n’était pas très esthétique, mais c’était du solide, construit pour durer ! et la Chevrolet durait, en effet ! Hormis quelques problèmes au niveau de la vitesse maximale et du bruit qu’elle faisait, elle était parfaite. Puis de nos jours, on mettait tellement de bric-à-brac dans les voitures soit disant pour les rendre plus sécurisées, pour leur assurer une meilleure tenue de route, etc. eh bien, c’était ces véhicules-là qui étaient les plus amochés lors des accrochages ! les statistiques qu’il avait dans son bureau étaient unanimes sur la question.

Isabella Swan était peut être une fille discrète, calme et posée, elle n’en était pas moins déterminée. Si elle devait aider quelqu’un, un ami, un parent en difficulté, elle faisait le nécessaire; si elle devait empêcher quelqu’un de faire une bêtise (et cela concernait principalement sa mère), elle se débrouillait pour prouver par A+B qu’elle avait de bonnes intentions qui étaient justifiées; s’il fallait faire dire quelque chose à quelqu’un, elle se débrouillait pour qu’il crache le morceau. Son père n’échapperait pas à ces règles!

"Billy l’a achetée en 1984, je crois... d’occasion. Je pense qu’elle était neuve dans les années 60 ou la fin des années 50, en fait..."

Au moins, c’était clair. Bon l’engin était peut être sûr, qui sait! S’il avait vécu aussi longtemps, il n’était certainement pas aussi terrible que cela… Mais il était évident que la jeune fille tâcherait de trouver un mécano à Forks. Histoire de vérifier. Juste pour jeter un coup d’œil… Il vaudrait mieux éviter un fâcheux accident… Après tout, on parlait de Bella Swan. La fille qui n’attirait sur elle que toutes sortes d’accidents. Ce n’était pas nouveau, Charlie le savait! Combien de fois avait-elle atterri aux urgences, même ici dans cette ville éloignée de toute civilisation décente et pluvieuse?
Mais même si Bella avait tâché de masquer son appréhension, elle ne put retenir un rictus peu enthousiaste. Elle avait besoin d’un bolide! Non pas d’une voiture qui était capable d’atteindre les cent à l’heure en deux secondes - et intéressée comme elle l’était par les voitures, elle ne savait même pas si cela était possible…-, mais d’un véhicule sûr, une voiture qui ne rendrait pas l’âme en plongeant dans le fossé. Parce qu’on parlait bien de la fille Swan…

"Vraiment, Bella, cette camionnette roule très bien. On n’en construit plus des comme ça maintenant !"

La fille était au moins sûre d’une chose: Charlie Swan, le père pas très présent certes, mais chef de police tout de même, ne laisserait jamais sa fille unique monter dans un véhicule peu sûr! C’était d’une évidence implacable! Et ça, Bella n’en doutait pas le moins du monde. Il restait néanmoins une question en suspens: la jeune femme avait économisé pour cette voiture, et elle voulait la choisir elle pour cette raison: le budget!

- Et… Le prix?

Bizarrement, de tout ce qu’il avait pu dire jusqu’à présent, bien peu de choses semblait intéresser sa fille. Charlie savait bien que les filles n’étaient pas souvent très portées sur la mécanique, mais tout de même... c’était de sa voiture qu’il s’agissait, sa voiture à elle, pas celle d’un inconnu... Heureusement, Bella finit par demander le prix de la camionnette. Bon, elle s’intéressait peut-être un peu quand même, alors... mais c’était là une question à laquelle le chef Swan aurait aimé n’avoir pas à répondre. C’était toujours tellement compliqué toutes ces situations de questions-réponses ! Parfois, Swan se disait qu’il aurait peut-être aimé naître sourd-muet. Ça lui aurait bien facilité la vie !

"Eh bien en fait... Je l’ai déjà achetée pour toi, Bella... comme cadeau de bienvenue..."

Et hop, comme ça, elle n’avait pas à savoir le prix, puisque c’était un présent. De toute manière, le chef de la police en était sûr et certain, cette Chevrolet avait encore de belles années devant elle ! Et elle était stable, solide et pratique. Exactement ce qu’il fallait pour sa fille, au fond. Charlie n’avait pas dû hésiter bien longtemps, il était rapidement tombé d’accord avec son ami Billy Black. Fallait-il le dire ? cette idée d’offrir à Isabella un véhicule n’était pas vraiment une idée du chef Swan. C’était une idée qui lui avait été soufflée par son meilleur ami qui savait souvent comment il fallait faire pour faire plaisir aux jeunes.
Les gros avantages de la camionnette Chevrolet étaient surtout sa tenue de route et sa robustesse. Pas question de choisir un bolide qui s’emballerait trop facilement pour Bella. Il lui arrivait parfois d’être un peu maladroite et un véhicule pas très adapté à sa conduite pouvait causer bien des soucis dans la petite ville de Forks.

Bref, tout ça pour dire que Charlie tenait beaucoup à sa fille unique et que ses intentions étaient tout à fait louables. Et il espérait vraiment que sa fille ne serait pas vexée en voyant la bête : après tout, le véhicule était plus âgé qu’elle, peut-être ne lui plairait-il pas du tout... Il savait bien que jamais Bella n’avait été vraiment superficielle. Si elle avait à redire au choix de son père, ce serait argumenté et bien réfléchi... Mais bon, mieux valait tout de même prendre les devants.

"Tu sais, j’aimerais que tu sois heureuse ici..."

Il ravala sa salive. Ce n’était décidément pas simple de parler de ce qu’on ressentait, de ce qu’on désirait. Charlie avait fait beaucoup d’efforts jusqu’ici. Et Forks n’étant plus très loin, il se sentait un peu mal à l’aise, tant il craignait que ce qu’il avait préparé pour sa fille ne lui convienne pas...

"Eh bien en fait... Je l’ai déjà achetée pour toi, Bella... comme cadeau de bienvenue..."

Gratuite la voiture... Rien que ça!
Bella savait que Charlie était heureux qu'elle vienne vivre avec lui. Perplexe mais heureux c'était certain. Mais n'en faisait-il pas un peu trop là? Elle qui avait voulu se débrouiller toute seule... Lui qui n'avait pas été présent à chaque moment important de sa vie... Elle ne lui en avait jamais voulu, loin de là, après tout, c'était sa mère qui l'avait quitté avec un bébé sous le bras en guise d'au revoir. Mais cette impression de rachat la mettait légèrement mal à l'aise...

- C'est gentil, papa, mais tu n'étais pas obligé, tu sais! J'avais prévu de me l'acheter moi-même...

Elle allait proposer de le rembourser le plus rapidement possible, mais elle savait d'avance qu'il n'accepterait jamais. Après tout quel père censé ferait un cadeau à sa fille pour le lui faire payer ensuite. Spécialement ce genre de cadeau... Mais cet élan de générosité était quelque peu gênant.

"Tu sais, j’aimerais que tu sois heureuse ici..."

Cette dernière réflexion fit retenir un sourire à Bella. S'il y avait une chose que la jeune fille avait bien hérité de Charlie, c'était sa difficulté à exprimer ses émotions, et elle savait ce qui devait lui en coûtait de dire ces simples mots. De plus, elle ne voulait pas avouer que vivre heureuse à Forks relevait d'un défi hors du commun... C'est donc aussi naturellement que lui en fixant le pare-brise qu'elle lui répondit doucement.

- C'est vraiment gentil papa... C'est un cadeau extraordinaire!

Pendant un long moment ensuite, elle se mura dans un lourd silence. Ce qu'il y avait de bien avec Charlie, c'était que les silences n'étaient pas gênants. Tous deux partageaient se goût pour le mutisme. Jamais trop en dire, jamais être trop indiscret ni trop curieux. Pour Bella, c'éatit une qualité sans faille aucune.

Ils arrivèrent enfin à Forks. Bella reconnaissait les arbres. Vert. L'herbe. Verte. Les maisons. Couvertes de mousse verte... Ce spectacle promettait d'être lassant à la longue.

*Ne pars pas défaitiste Bella... Ne pars pas défaitiste...*

Le chemin vers la maison lui était familier, au prochain tournant, ils seraient chez eux. Au prochain tournant, elle verrait sa nouvelle voiture.

Et voilà. Le moment le plus difficile était passé. Charlie avait avoué à sa fille qu’il lui avait dégotté un cadeau de bienvenue et qu’il voulait que Bella soit heureuse. C’était le plus compliqué à annoncer, mais il l’avait fait. Et maintenant que sa fille le remerciait, il marmonna quelque chose de peu compréhensible mais qui devait vouloir dire

"Pas d’quoi"

, puis il se borna dans un silence complet.
Il avait dit tout ce qu’il avait à dire. Pas la peine d’ajouter qu’il pleuvait plus qu’hier et bien moins que demain, ou l’inverse. Bella connaissait le climat de Forks. D’ailleurs, le chef Swan ne savait pas pourquoi elle voulait revenir vivre ici, elle qui avait vécu tant de temps au soleil avec Renée…
Mais soit. Comme on dit, ce que femme veut, Dieu le veut. La clef de tout devait être là.

Charlie ne se posait pas trop de questions. Car interroger quelqu’un était le meilleur moyen de le mettre mal à l’aise. Et il ne pensait pas non plus que sa fille allait apprécier un interrogatoire sur les raisons profondes de sa venue ici. D’ailleurs, ça n’avait pas d’importance. L’essentiel, c’était qu’elle était là. À quoi bon chercher à comprendre le pourquoi du comment… seul le fait de sa présence avérée était primordial. Le reste… prrrrrrrt.

Lorsque le véhicule de patrouille passa le panneau indiquant l’entrée de la petite ville de Forks, Charlie se sentit plus léger car la route n’était plus bien longue… mais il craignait tout de même que son cadeau ne plairait pas à sa fille. Après tout, que savait-il de ses goûts ? Et que dirait-elle en voyant que le matériel informatique qu’il lui avait acheté était d’occasion ? Elle méritait sans doute mieux que des objets de seconde main, mais le chef Swan partait du principe que tant que quelque chose fonctionne, l’acheter d’occasion n’est pas une bêtise. Enfin, il verrat en temps voulu ce que dirait Bella…

Encore un virage et voilà. La petite maison à deux chambres venait d’apparaître dans le champ de vision de la patrouilleuse. Un frisson glacé parcourut l’échine du policier. Il espérait de tout cœur que sa fille n’allait pas lui faire ravaler ses bonnes intentions. Il avait mis tellement de temps pour se décider…

"Bon, maintenant, tu es chez toi…"

Charlie arrêta la voiture devant la maison et prit une inspiration conséquente avant de sortir et de fermer sa portière. C’était l’instant de vérité.

Toute cette verdure ne semblait pas calmer l’appréhension qu’avait Bella de se trouver face à son nouveau moyen de transport. Enfin nouveau… le problème était là finalement. Le véhicule n’était pas neuf et par conséquent, peu fiable…
Charlie tourna à l’angle de la rue. Les Swan arrivaient enfin chez eux. Bella reconnut avec une certaine émotion la petite maison de son père. Celle qu’il avait acheté lors de son mariage avec Renée. Il n’avait jamais voulu déménager. Là-haut, la fenêtre qu’on voyait nettement se dessinait sur la façade, c’était la chambre de Bella, juste à côté de l’unique et toute petite salle de bain de la maison. La jeune fille se doutait qu’elle trouverait là sa chambre telle qu’elle était, telle qu’elle l’avait quitté trois années plus tôt, avant de décider de ne plus revenir mettre un pied à Forks.
Avec un léger pincement au cœur, Bella se demanda si elle n’avait pas blessé son père à cette époque. Certainement que oui… Elle se rattraperait lors de son séjour ici par des petits plats mitonnés par elle-même. Il était de notoriété publique que Charlie Swan n’était pas un grand cuisinier.

Après lui avoir signalé leur arrivée, Charlie se gara dans l’allée de la maison, juste à côté d’une fourgonnette de couleur rouge qui ressemblait presque à un tank à côté de la voiture de fonction de Charlie. Bella sortit de la voiture et jaugea son nouveau véhicule.
Contrairement à ce à quoi elle s’attendait, la jeune fille tomba immédiatement amoureuse du véhicule. C’était l’un de ceux qui écrabouillerait le moindre obstacle sur sa route en cas d’accident. Exactement ce qu’elle avait voulu finalement.

Avec un sourire radieux, elle regarda son père avec une gratitude sans borne.

- Elle est géniale, papa !! Je l’adore ! Merci !

Bella s’imaginait déjà au volant de cette merveille

En arrivant devant la maison, Charlie avait craint beaucoup de choses en même temps. D’abord il avait eu peur que la camionnette Chevrolet ne soit pas au goût de sa fille, ensuite, il avait songé à l’ordinateur avec la connexion Internet qu’il avait installé dans sa chambre, condition sine qua non de Renée pour que Bella ne soit pas totalement coupée du monde civilisée une fois revenue dans la brousse qu’était Forks… et enfin, il avait craint, c’était peut-être la première et la plus grande de ses craintes, tout compte fait, que son enfant ne se sente pas chez elle dans cette ville, il avait peut qu’elle ne s’y plaise pas et qu’elle veuille retourner sous un soleil plus présent. Le chef Swan pouvait comprendre cela, son ex-épouse aimait le soleil à tel point qu’elle le suivait autant que possible. Il savait bien que Bella ressemblait assez à son père au point de vue du caractère, mais qu’en était-il de ce soleil ?

Alors, quand Charlie vit que sa fille regardait la Chevrolet d’une manière plus intéressée que ce qu’il avait craint, il poussa un grand soupir intérieur de soulagement. Et quand elle le remercia en précisant qu’elle l’adorait (la voiture, pas lui), le chef de la police se passa maladroitement la main droite sur la nuque, comme si quelque chose le dérangeait un peu à cet endroit-là, alors qu’il tentait juste de se donner une contenance.

"Hem… eh bien… de rien…"

Il était embarrassé par les remerciements de sa fille, pour ne pas changer, mais les mots qu’il avait dits lui sonnaient tellement creux aux oreilles qu’il se sentit obligé d’ajouter quelque chose, sans regarder Bella en face et sans essayer d’être moins bourru.

"Content que tu l’aimes."

En disant cela, Charlie était allé chercher les affaires de sa fille dans le coffre de la patrouilleuse. Au moins comme cela, elle pourrait s’installer et essayer d’être heureuse ici. Car c’est tout ce que son père souhaitait.

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